Définition de la dysphorie de genre
Le terme de dysphorie (dérivé du grec dysphoros : « insupportable, insoutenable ») reste peu utilisé jusqu’à la fin du XXe siècle où son usage prend un véritable essor dans les publications médicales abordant la question des personnes transgenres.
La dysphorie de genre (aussi appelée “incongruence de genre”) est donc le terme médical utilisé pour désigner la détresse et la souffrance éprouvées par une personne qui ne se reconnaît pas dans le sexe biologique et l’identité de genre assignés à sa naissance.
La souffrance liée à une dysphorie de genre peut prendre plusieurs formes, voici les plus communes :
- Du fait que son comportement ne correspond pas aux normes de genre, une personne dysphorique de genre est souvent confrontée à un phénomène de rejet douloureux, à commencer par le cercle familial qui ne la comprend pas toujours.
- Le sentiment de ne pas correspondre aux « normes » de genre provoque une mauvaise estime de soi qui peut être aggravée par le profond dégoût pour un corps qui ne correspond pas au genre ressenti.
- Une anxiété permanente résultant du stress émotionnel et/ou d’un stress minoritaire, peut engendrer des attaques de panique (aussi appelée crise d’angoisse) et à terme peut prendre la forme de différents troubles de santé mentale.
Le questionnement sur le genre peut être transitoire et révéler une souffrance autre que la dysphorie de genre, en particulier chez l’enfant. L’aspect corporel intrigue beaucoup les enfants : pourquoi y a-t-il des garçons et des filles ? Des hommes et des femmes ? Souvent, l’explication donnée c’est que les garçons sont dotés d’un organe que les petites filles n’ont pas. Le petit garçon peut imaginer que ce serait plus facile de vivre sans et la petite fille peut avoir envie de ce qu’elle voit (la société s’y prête !) comme un signe de prestige.
Je rencontre souvent au cabinet des patient.e.s dont les familles ont longtemps formulé des attentes quant à l’identité et l’expression de genre de leurs enfants. Ils ont peut être rêvé d’avoir un fils, une fille, et avant même la naissance de leur enfant ont déjà profondément ancré tout un tas de stéréotypes de genre. L’enfant en pleine construction identitaire, peut ressentir un conflit entre ce qu’iel ressent être et ce qui était attendu de ses parents. Une tension psychologique se crée alors, l’enfant est tiraillé entre ce qu’il se sent être et ce qu’on attend de lui. Parfois ces ressentis et questionnements sont transitoires et parfois ils sont plus durables. Il est important de laisser les enfants explorer leur identité, leur montrer que la norme est ailleurs ! En tant que parent, vous pouvez veiller à ne pas transmettre les stéréotypes et injonctions de la société.
Il est donc important de bien distinguer le sentiment de non-conformité avec son sexe et son identité de genre assignée à la naissance, et la dysphorie de genre.
La non conformité de genre, c'est-à-dire le fait d'être peu ou pas en accord avec son identité de genre assignée, n'est pas considérée comme un trouble ou une maladie, elle est une variante de l'identité et de l'expression de genre ! Certaines personnes peuvent ressentir des difficultés vis à vis de ce sujet, cette difficulté provient la plupart du temps de l’écart perçu et/ou ressenti vis à vis de la norme. Dans une société qui, par son approche médicale, sociétal et politique, impose une vision binaire des genres et des rôles … il n’est pas étonnant que cela puisse être un sujet difficile à aborder.
La dysphorie de genre ce n'est pas la même chose, ce diagnostique peut être posé seulement lorsque le déséquilibre entre le sexe assigné à la naissance et l'identité de genre ressentie provoque une détresse et une souffrance durables et fortes. Les personnes qui présentent une dysphorie de genre expriment souvent leurs ressentis comme un mélange d'anxiété, de dépression et d'irritabilité.
Attention, je tiens à préciser que l’on peut se questionner sur son identité de genre sans pour autant ressentir de la dysphorie de genre. Chacun.e son parcours, pas de généralités !
Les symptômes de la dysphorie de genre
J’entends souvent dire que le symptôme principal de la dysphorie de genre est l’inconfort corporel ou le dégoût du corps. C’est faux !
La dysphorie de genre impacte une multitude d’aspects de la vie : la manière dont on interagit avec les autres, notre manière de nous habiller, notre attitude, notre intégration dans la société et la manière dont nous percevons le monde qui nous entoure. Bien sûr que notre relation à notre corps entre en jeu mais il est loin d’être le critère principal.
- Le malaise face à la question de sexe.
Le fait de supporter difficilement (voire pas du tout) les attributs visibles (barbe,seins…) qui enferment dans un genre déterminé entraîne un malaise, dès que le sujet concerne les parties génitales ou la sexualité. Il peut même provoquer une détresse qui peut avoir des répercutions dans les relations intimes.
- L’identification au sexe opposé et le désir d’en adopter certaines caractéristiques
vestimentaires, vocales, comportementales ...
- Le souhait de modifier son expression de genre :
changement de coiffure, utilisation de différents accessoires permettant par exemple la compression ou le rembourrage de la poitrine…
Si l’on résume, votre tête et/ou votre corps sentent que quelque chose cloche, cette incongruité est si ancrée qu’on ne parvient pas toujours à identifier son origine. Votre conscience va alors vous envoyer des signaux parfois positif (l’euphorie) ou négatif (la dysphorie), en fonction de la proximité ou du décalage qui existe entre votre perception de vous même et votre environnement extérieur.
Comment agir face à la dysphorie de genre ?
Voici quelques conseils qui peuvent vous aider à mieux vivre votre dysphorie de genre :
- Prendre soin de soi
Pour gérer le stress et l’anxiété, on peut développer quelques stratégies comme : l’accueil des émotions négatives, par l’écriture d’un journal ou une activité manuelle.
La relaxation ou la méditation.
Une activité physique pour travailler sur l’image de notre corps.
Une bonne hygiène de vie (repas, rythme de sommeil)
- S’entourer de personnes bienveillantes
L’appui de l’entourage familial est primordial mais quand il est inenvisageable, on peut trouver du soutien auprès de personnes ayant affronté les même réflexions et problématiques. Il existe bon ordre d’association, de groupes de parole … qui permettent de rencontrer des paires, se sentir écouté.e et compris.e est un premier pas vers l’acceptation de soi.
- S’adresser à un.e thérapeute
Etre accompagné.e par un.e professionnel.le de santé spécialisé.e dans les problématiquesidentitaires est d’un grand secours pour aider à guérir les blessures et envisager plus sereinement l’instant présent et l’avenir.
- Opter pour une transition, qui peut s’effectuer à différents étages indépendants les uns des autres
Social : utilisation d’un nouveau prénom et de pronoms choisis, adoption de nouveaux codes vestimentaires …
Légal : modification du genre et du prénom choisis sur les documents officiels.
Médical : un traitement hormonal qui provoque une féminisation ou une masculinisation du corps.
Chirurgical : diminution mammaire, mammectomie, changement de sexe …
En tout cas, la question est très complexe et nécessite une prise en charge fine, sans précipitation. La prise en compte de la souffrance liée à l’identité de genre a évolué ces dernières décennies, mais il reste encore beaucoup de questions à résoudre.
Perspectives historiques et controverses
C’est au début du XXe siècle qu’est né le concept de classification des maladies pour un usage international. En 1948 paraît la première version du CIM (Classification Internationale des Maladies) pour la France et en 1952, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders).
La communauté psychiatrique réfléchit donc depuis les années 50 à catégoriser les personnes qui vivent une non concordance entre leur sexe assigné à la naissance et leur identité de genre. On est ainsi passé de la notion de « travestissement » avant d’introduire, dans les années 80, le concept de « transsexualisme » intégré à la catégorie des « troubles psychosexuels » et « troubles de l’identité sexuelle ». On comprend alors le combat mené par les associations contre cette assimilation du transsexualisme à une maladie mentale ! Le terme de « dysphorie de genre », apparu en 2009, dans le but d’effacer la notion de « trouble », n’effaçait pas le problème de la psychiatrisation vécue comme stigmatisante par les intéressé.e.s.
Le sujet étant trop peu étudié en France (et dans le monde en général) pendant de nombreuses années, les termes se sont succédés sans prendre en compte la réalité de vie des intéressé.e.s. Nous sommes passés des termes : transexuels à garçons efféminés ou garçon manqué, puis au termes transgenres, à genre fluide ou à genre variant.
En 2010, en France, la transidentité n’est plus considérée comme une affection psychiatrique et les soins de transition peuvent être pris en charge par la sécurité sociale, et pour certains à 100%, en cas d’accès à une ALD (affection de longue durée) qui n’est plus classifiée comme psychiatrique mais « hors liste ». Enfin, depuis le 1er janvier 2022, date clé pour la communauté mondiale trans, l'OMS ( L'Organisation Mondiale de la Santé ) ne considère plus les personnes Trans comme souffrant d’ « un trouble mental et du comportement » dans sa classification internationale des maladies. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité !
La CIM-11 reste toutefois à améliorer, selon l’association suisse des personnes trans, le TGNS(Transgender Network Switzerland) : un diagnostic qui concerne les enfants trans pré-pubertaire est introduit, ce qui les classe comme présentant une anomalie dont la solution serait une intervention médicale. Durant l’accompagnement des enfants en questionnement identitaire, les traitements médicaux en première et unique intention imposés à l’enfant semblent causer plus de problèmes qu’ils n’apportent de solution. N’oublions pas que c’est leur milieu qui doit apprendre à les soutenir de manière positive et leur permettre un questionnement ouvert, apaisé et bienveillant.
Il reste encore bien des progrès à accomplir dans l’accompagnement des personnes s’interrogeant sur leur identité de genre afin de ne pas les considérer comme « hors-normes ».
Pour reprendre la position de Judith Butler : « S’entendre dire que votre vie genrée vous condamne à une vie de souffrance est en soi inexorablement blessant. C’est une parole qui pathologise et la pathologisation fait souffrir ».
Conclusion
On voit bien que le sujet de la prise en charge de la variance de genre est complexe, d’autant que tous les pays n’ont pas avancé de la même manière sur cette question. Dans nombre de pays, la reconnaissance juridique du genre n’est possible que sur la base d’un diagnostic médical.
L’idéal serait de ne pas lister la transidentité dans une quelconque classification de maladies, son remboursement ne devant être qu'une volonté politique mais la sortie de la CIM pourrait entraîner la suppression de la prise en charge par les systèmes d'assurances maladie dans de nombreux pays, alors que les traitements hormonaux et chirurgicaux sont très coûteux.
Enfin, peut-être que les situations de souffrance par rapport à une assignation de genre diminueront le jour où sera reconnu comme une évidence le fait que le genre n’est pas intrinsèquement binaire mais pluriel et résultant de constructions culturelles et sociales. Alors, une personne qui cherche à construire son identité de genre se sentira moins « a-normale » puisqu’il n’y aura plus de norme unique imposée.
Un exemple frappant est celui des sociétés précoloniales du Pacifique où les personnes ne se sentant ni hommes ni femmes étaient naturellement intégrées à leur société (on les appelait « mahus », c’est-à-dire, au sens littéral, « au milieu ») et même valorisées puisqu’on leurattribuait la faculté de guérir, d’entrer en contact avec les divinités et qu’on leur confiait des fonctions fortes comme la transmission et l’éducation à la danse, culturellement centrale. Et pour finir, inspirons-nous du témoignage de Clara qui retrouve la sérénité quand elle peut enfin se dire : « Je suis juste moi », j’aime les femmes et je n’ai pas d’injonction à choisir si je suis un homme ou une femme.
A bas les injonctions, apprenez à devenir vous même sans vous soucier du regard des autres.
Prenez soin de vous, mesdames, messieurs et toutes les personnes au milieu ❤️
Eva Spaeter & Virginie Vergne