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Lorsqu’on cherche le mot « allié » sur internet (ou “ally” en anglais), on tombe sur plusieurs articles expliquant comment se comporter pour être un.e bon.ne ou un.e meilleur.e allié.e. Un.e allié.e, de manière générale, c’est une personne solidaire d’un groupe ou d’une communauté dont elle ne fait pas partie. Plus spécifiquement, c’est une personne qui soutient l’égalité des droits entre les personnes hétérosexuelles et/ou cisgenres, et celles de la communauté LGBT. Par extension, c’est aussi une personne qui rejette l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie, la transphobie et toute manifestation de haine ou de discrimination envers les personnes queer. Ces articles sur lesquels on tombe s’adressent donc aux personnes qui n’appartiennent pas à la communauté LGBT. Mais alors comment faire, lorsqu’on est une personne LGBTQIA+, pour reconnaitre un.e allié.e, sans lui faire passer un test de personnalité digne d’un entretien d’embauche ?
1. Repérer les indices
Récemment, j’étais assise en terrasse avec des ami.e.s hétéros, et à un moment de la discussion, j’ai prononcé le mot « allié ». Il y a un eu un petit silence, et l’amie en face de moi m’a demandé : « Allié ? Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Un peu prise de court, j’ai répondu, sans trop réfléchir : « Les allié.e.s, c’est vous ! » en désignant les personnes autour de la table. Plus tard, je me suis posé la question suivante : est-ce que les ami.e.s d’une personne queer sont forcément des allié.e.s ? Est-ce que ce le lien amical que nous partageons suffit à leur octroyer ce statut ? Ou est-ce que je les avais identifiés comme tels pour d’autres raisons ? C’est ce qu’on va tenter de déterminer ici. Quels sont les indices qui permettent de ranger les personnes qui nous entourent dans la case « allié.e.s » ?
2. Identifier comment s’éduque et agit la personne sur les enjeux LGBT
S’il est acceptable que nos proches nous posent parfois des questions de manière respectueuse sur notre communauté pour mieux la comprendre, ils ne devraient pas pour autant prendre pour acquis que nous en avons toujours le temps, l’énergie ou l’envie. Notre entourage peut et doit aussi s’informer seul : on trouve aujourd’hui beaucoup de ressources sur internet qui leur permettent d’apprendre la terminologie, de se tenir au courant des actualités, ou de se renseigner sur les groupes les plus vulnérables et discriminés au sein même de la communauté (comme les personnes trans racisées, par exemple). En somme, un.e allié.e est un minimum autonome et ne nous sur-sollicite pas. Les allié.e.s sont également d'autant plus identifiables si iels s'emparent de ce contenu et le partage autour d'eux.
Une autre manière de savoir s’il s’agit d’allié.e.s pourrait être de porter attention à la connaissance et à l’application des codes de la communauté. Quelques exemples : ne pas présumer de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de quelqu’un, ni ne dévoiler celles-ci sans son consentement ; donner ses pronoms d’usage et demander les siens aux autres ; savoir dans quelles circonstances être présent ou absent d’un évènement (notamment en cas de safe space ou de non-mixité choisie). Enfin, un.e bon.ne alliée sait réagir de manière adéquate en cas de propos ou d’actes LGBT-phobes : en reprenant les auteur.ices de ceux-ci, en expliquant en quoi ils sont non seulement discriminants mais aussi illégaux.
3. Une question d'équilibre ?
De manière plus générale, reconnaitre un.e allié.e peut aussi passer par l’identification d’une attitude exempte de préjugés et de superficialité. Au-delà du fait de simplement arborer les couleurs de l’arc-en-ciel au mois de juin chaque année (ce qui est aujourd’hui considéré comme du pink washing dans le monde du travail, notamment), un.e allié.e va plutôt montrer son soutien tout au long de l’année à travers des actions concrètes et adaptées.
Attention, acceptons que chaque personne a sa propre manière de soutenir la communauté et ne peut ni ne doit en aucun cas tout savoir et tout connaitre. Même les personnes faisant elles-même partie de la communauté ! Mais globalement, les personnes qui se remettent en question, acceptent de pouvoir avoir tort, s’excusent en cas d’erreur, et étant conscientes de leurs privilèges sont susceptibles d’être de bon.nes allié.e.s.
Une personne qui sait faire la différence entre expertise et expérience des réalités LGBT est également un.e bon.ne candidat.e au statut d’allié.e : accepter qu’il est impossible de comprendre tout ce que vivent les concerné·e·s semble primordial. Est-ce qu’être un.e allié.e ne serait pas une question de juste milieu ? Ce sont des personnes qui savent soutenir tout en restant en retrait, laisser la place, ne prétendent pas mieux savoir que les concerné.e.s. Une bon.ne allié.e ne parle pas à notre place, n'investit des lieux qui sont les nôtres : ce sont des personnes qui savent trouver un équilibre entre défendre activement et savoir s’effacer.
En conclusion
Alors, les ami.e.s avec qui j’étais assise en terrasse dernièrement sont-ils vraiment des allié.e.s ? Au sens de la définition du terme, oui. Au sens de certains indices, oui, mais sûrement pas de tous. Enfin, au sens de l’équilibre, je ne sais pas. Peut-être pourraient-ils être de meilleur.e.s allié.e.s encore. Mais finalement, est-ce que l’allié.e parfait.e ne serait pas quelqu’un qui cherche sans cesse à en devenir un.e meilleur.e personne ? C’est, en tout cas, probablement la manière la plus évidente de les reconnaitre.
Définitions
cisgenre : qui n’est pas transgenre ou non-binaire ; dont le genre assigné à la naissance correspond à l’identité de genre actuelle ou souhaitée
personnes queer : « personnes qui s’identifient à une identité de genre, une expression de genre ou à une orientation sexuelle en dehors de la norme sociale » selon la Fondation Émergence
pronoms d’usage : pronoms personnels qui permettent de communiquer son identité de genre aux autres. Une personne choisit ses pronoms et peut en utiliser plusieurs. Exemples : il, elle, iel, ect… (en anglais : he/him, she/her, they/them, ect…)
safe space : espace sécuritaire où les personnes qui se sentent marginalisées et les minorités peuvent se retrouver entre elles avec l’envie de ne pas subir de discrimination. Souvent, ces espaces restent ouverts aux allié.é.s du moment qu’ils en respectent les codes et les règles. Exemple : un bar gay, un festival queer et/ou féministe.
non-mixité choisie : rassemblements de personnes appartenant à un ou plusieurs groupes discriminés, en excluant complètement la participation d'autres groupes potentiellement oppressifs pour ne pas reproduire des schémas de domination sociale. Exemple : un atelier où seules les femmes racisées peuvent s’inscrire.
pink washing : attitude accueillante envers la communauté LGBT dans le seul but d’améliorer son image. Ce procédé est par exemple utilisé par des entreprises ou des partis politiques. Exemple : mettre son logo professionnel aux couleurs de l’arc en ciel, sans développer de réelles actions d’allié.e.s.
Eva Spaeter et Camille Légeron