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L’estime de soi est une composante essentielle de notre personnalité, mais difficile à appréhender car multiforme, multidimensionnelle.
De nombreux psychologues et psychiatres ont travaillé sur cet élément fondamental de notre épanouissement et la question bien que passionnante est bien complexe !
Comment définir l'estime de soi ?
« Estimer » vient du latin « aestimare » dont le sens premier est « évaluer » : on évalue le prix d’une denrée, d’un objet, le montant d’une amende, la sévérité d’une condamnation, la valeur d’une idée… Le sens second d’« apprécier, estimer, avoir une bonne opinion » revêt plutôt une dimension affective.
Quelle conclusion tirer de ces deux sens ?
Que l’estime de soi peut s’appuyer sur une part d’objectivité mais aussi sur des considérations subjectives, que les émotions jouent un rôle déterminant dans la construction et l’évolution de celle-ci. L’estime de soi se forge sur des considérations rationnelles ET émotionnelles.
Si on la considère de manière globale, on peut donc définir l’estime de soi comme le sentiment que chacun a, au fond de lui, de sa propre valeur. C’est ce que Christophe André nomme « la vision de soi », basée sur une évaluation (forcément subjective) de ses propres compétences, qualités et défauts. Cette évaluation se fait par rapport à une norme, un idéal, posés personnellement comme référence. Ainsi, plus l’écart est petit, entre ce qu’on voit (ou croit voir) de soi et ce qu’on voudrait voir (l’idéal de soi), plus l’estime de soi est élevée, et vice-versa. Un idéal de soi trop parfait débouche sur une estime de soi basse car les attentes deviennent inatteignables.
Il est aussi admis qu’il existe plusieurs estimes de soi, puisqu’elle est amenée à varier suivant les domaines considérés : travail, relations sociales, sport, apparence physique, comportement… Chez un.e adolescent.e, par exemple, la perception du corps joue un rôle particulièrement important pour l’estime de soi. La popularité peut aussi, chez les un.e.s, être un vecteur d’estime de soi plus important que la réussite scolaire alors que pour d’autres cette dernière passe au premier plan.
L’estime de soi peut ainsi varier selon les domaines de compétence que chacun sera amené à privilégier. Une personne peut avoir une bonne estime de soi globale, tout en ayant une vision négative d’elle-même en sport. Il faut aussi considérer le fait que l’estime de soi varie dans le temps suivant les expériences de réussite et d’échec. Et, bien sûr, l’impact des échecs ou des réussites ne sera pas le même chez une personne ayant, de manière structurelle, une bonne ou une mauvaise estime de soi.
L'estime de soi ne dépend pas que de soi : pourquoi ?
Le soi est aussi une construction sociale qui se façonne en fonction des interactions, des « échanges » avec les autres.
La comparaison à l’autre et le regard des autres ont un effet déterminant sur l’estime de soi.
Parlons d’abord de la comparaison à l’autre :
L’être humain étant un animal social, il a une tendance naturelle à se positionner par rapport aux autres. L’image que renvoie l’autre entre en concurrence avec celle qu’on a de soi-même. Or la comparaison est généralement biaisée à cause de nos raccourcis mentaux (nos biais). En effet, je le dis souvent, mais notre cerveau est un petit farceur fainéant qui ruse pour utiliser le moins d’énergie possible. Les exemples choisis pour conforter notre sentiment sont ceux qui nous viennent facilement, en premier. Ce qui nous amène à surestimer les informations qui sont facilement visibles, accessibles. Des études ont montré d’ailleurs qu’on a une propension à croire que les autres ont une vie sociale plus intense. De plus, les réseaux sociaux offrent une image déformée de la réalité, ce qui accentue le risque de fausser nos jugements. N’avez vous jamais vu ce couple parfait postant des vidéos sur instagram, dans lesquelles leur bonheur semble absolu et inébranlable ? Ou des personnes postant leurs nombreux voyages dans des contrées idylliques tandis que vous êtes au travail ? Réfléchissez, qu’est-ce que cela a provoqué en vous ?
Une expérience menée dans les années 70 par des psychologues (Stan Morse et Kenneth Morse) est assez révélatrice :
Des étudiants postulaient pour un job d’été et remplissaient de pseudo questionnaires de recrutement comportant aussi des items d’auto-évaluation. Dans la pièce où planchait chaque étudiant, on faisait alors entrer soit un candidat (fictif) beau, bien vêtu, tenant un livre de métaphysique ( un « Monsieur Propre »), soit un candidat mal rasé, avec des habits froissés et tenant un roman pornographique (un « Monsieur Crade »). Les résultats desquestionnaires d’estime de soi flanchaient dans le premier scénario (face à « Monsieur Propre ») alors qu’ils s’envolaient dans le deuxième cas ( avec « Monsieur Crade »).
L’estime de soi ne peut donc être dissociée de la référence aux autres, que ce soit par la comparaison aux autres, qui -c’est reconnu- peut être biaisée, ou par le regard qu’on attribue aux autres. En effet, plus on pense être favorablement évalué par les autres, meilleure est l’estime de soi. Pour l’estime de soi, se sentir aimé est plus important que se sentir dominant. Il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas parce qu’on a du pouvoir qu’on a une estime de soi fondamentalement bonne. C’est le moment de remonter aux premiers instants de la vie. En effet, si l’on se réfère aux théories de l’attachement qui se sont diffusées dans les années 60-70, les racines de l’estime de soi se situe dans la relation parent(s)-enfant.
S’être senti important, une personne précieuse aux yeux des parents détermine la valeur personnelle que l’enfant s’attribuera. « Avant de se voir, l’enfant se voit dans les yeux de sa mère le regardant », selon Winnicott dont les travaux ont été relayés par John Bowlby, fondateur de la théorie de l’attachement. Si les parents répondent de manière rapide et réconfortante aux épisodes de détresse de l’enfant, il en résulte que :
- L’autre est perçu comme digne de confiance
- Cela imprime une image de soi positive, l’enfant se sentant digne d’intérêt et d’amour
- Cela lui donne un sentiment d’efficacité personnelle puisqu’on a répondu à ses signaux
Et dans la phase d’exploration qui s’engage dès la première année, l’attitude de l’entourage est aussi déterminante pour l’éveil du sentiment de compétence personnelle. En effet le besoin de découvrir, d’apprendre place l’enfant, suivant les circonstances, en situation de danger, de frustration, d’impuissance et il revient aux figures d’attachement de sécuriser, d’accompagner, en l’aidant à organiser ses comportements et ses émotions, à se concentrer et s’appliquer, sans intrusion excessive et en veillant à ce que les défis soient réalistes et appropriés. C’est à ce moment que l’on apprend à ne pas mettre la “barre trop haute”. En effet, il s’agit de ne pas créer de décalage trop important entre nos objectifs et nos capacités, nos ressources !
Pour asseoir les fondements d’une estime de soi positive, la sécurité de l’attachement chez l’enfant est donc primordiale. C’est dans les premières années de la vie que se forme le socle de l’estime de soi, ce que Christophe André appelle « l’amour de soi » et qu’il définit comme la capacité à se respecter quoi qu’il arrive, indépendamment de ses performances, à écouter ses besoins et aspirations. Cet « amour de soi » est fortement influencé par l’amour reçu dans la famille, un amour inconditionnel qui ne laisse jamais croire à l’enfant qu’il est un bon à rien, malgré ses bêtises ou contre-performances.
Avoir manqué de ces « nourritures affectives » impacte la personnalité et ces carences sont ensuite plus difficiles à rattraper. L’environnement familial a un effet déterminant sur l’amour de soi ainsi que sur la vision de soi (le regard sur soi, ses compétences, qualités et défauts), vision de soi que l’école, les expériences et rencontres successives pourront faire bouger dans un sens ou un autre.
Est-il nécessaire d'avoir une haute estime de soi ?
On pourrait alors penser que la mission des parents et éducateur.trice.s est de veiller à ce que les enfants développent une haute estime d’eux-mêmes, pour rendre leur vie meilleure. Mais cela comporte un risque : engendrer une vision de soi narcissique et surdimensionnée.
Ainsi, une personne qui se croit exagérément supérieure pourra tout autant être constamment à la recherche d’attention et de valorisation, refuser de croire quoi que ce soit de négatif à son égard, ce qui n’en fera pas une personne plus équilibrée et plus sociable. Les personnalités narcissiques ne supportent pas de ne pas être préférées, se révèlent agressives et de mauvaise foi dès qu’elles se sentent prises à défaut, sont souvent plus vulnérables au regard des autres et face aux échecs - inévitables dans une vie.
On peut avoir une estime de soi fragile et avoir une belle vie, en apprenant à composer avec ses doutes et ses limites, en progressant malgré tout. C’est le « travail » que peuvent faire ceux et celles qui, par une faible estime de soi cherchent à se protéger en évitant les situations où il y a un risque d’être jugé. Or cela ne permet pas d’apprendre, de tirer des leçons et finit par appauvrir. Bien sûr, nous ne partons pas tous avec le même héritage, mais nous pouvons réparer les loupés en travaillant le lien à soi et le lien aux autres.
- Le lien à soi : apprendre à s’accepter, se respecter, à prendre en compte ses faiblesses sans se les reprocher et s’en punir, travailler à les faire évoluer, en reconnaissant aussi ses qualités. Etre un parent bienveillant pour la part d’enfant qui reste en nous.
- Le lien aux autres : apprendre à s’affirmer, au risque de déranger ou de déplaire, tout en respectant ce que veut, ressent et pense l’autre ; s’appuyer sur le soutien social : les proches, les ami.es, les collègues, les connaissances ; accepter qu’ils ou elles nous désapprouvent, entendre leurs compliments et leurs démonstrations d’amour ou d’amitié.
Construire une estime de soi stable est un chemin qui peut prendre une vie. « Cultivons notre jardin », comme dirait Voltaire…